Introduction
Chaque année, les vacances estivales permettent à des millions de salariés de couper avec le rythme intense du travail, de se ressourcer, de retrouver un équilibre personnel souvent mis à mal au fil des mois. Pourtant, cette parenthèse bénéfique se referme souvent brutalement. Les entreprises abordent trop souvent la reprise comme une simple relance de l’activité, sans mesurer l’enjeu que représente ce moment pour la santé mentale, la motivation et la qualité de vie au travail (QVT). Or, les études le confirment : les vacances ont des effets démontrés sur la santé psychologique des individus, mais ces effets sont fragiles et éphémères si la déconnexion est incomplète ou si la reprise est trop brutale (Fritz & Sonnentag, 2006 ; Etzion, 2003).
Dans un contexte de montée des risques psychosociaux (RPS), de fatigue chronique et d’augmentation des cas de burnout, la manière dont les entreprises encadrent les congés — en amont et en aval — devient un véritable enjeu stratégique de prévention, d’engagement et de performance durable.
En ces temps de rentrée, cet article propose d’explorer les fondements scientifiques des bienfaits des vacances sur la santé mentale , d’analyser les risques associés à une reprise mal préparée , puis d’identifier des bonnes pratiques concrètes que les entreprises peuvent mettre en place pour prolonger les effets positifs des congés et renforcer leur politique QVT .
I. Vacances et santé mentale : un socle de prévention encore trop ignoré
Les vacances constituent un temps privilégié de récupération, au sens où ils permettent aux individus de s’éloigner des sources de stress liées au travail et de se reconstituer sur les plans cognitif, émotionnel et physique. Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence les bénéfices multiples des vacances sur la santé mentale :
- Régénération cognitive : les vacances favorisent la restauration de l’attention et la récupération des fonctions exécutives, mises à mal par la surcharge cognitive quotidienne (Kaplan & Kaplan, 1989 ; Berto, 2005).
- Repos émotionnel : elles permettent une réduction des symptômes de stress, d’irritabilité et de fatigue émotionnelle (Fritz et al., 2010).
- Amélioration de l’humeur : une méta-analyse (de Bloom et al., 2017) souligne une élévation significative de l’humeur, de la satisfaction de vie et du bien-être pendant et immédiatement après les congés.
- Santé physique : les vacances sont également corrélées à une diminution du risque de maladies cardiovasculaires (Gump & Matthews, 2000), notamment via la baisse de la tension artérielle et une meilleure qualité du sommeil.
Ces effets bénéfiques sont toutefois transitoires : selon une étude de Westman et Eden (1997), les gains sur la santé mentale peuvent commencer à s’estomper dès la deuxième semaine après la reprise, si l’environnement professionnel reste inchangé.
Toutefois, il ne faut pas oublier ce qui ne partent pas en vacances. Les effets ont aussi des conséquences sur la performance globale de l’entreprise. Si les congés sont un droit inscrit dans le Code du travail, l’accessibilité réelle aux vacances demeure inégale. En France, selon le baromètre de l’Observatoire des inégalités (2022), près de 40 % des adultes ne sont pas partis en vacances au cours de l’année écoulée. Ce non-départ concerne plus fréquemment les personnes en situation de précarité, les familles monoparentales, et certains métiers peu qualifiés soumis à des logiques de remplacement ou d’auto-censure.
Le non-recours aux vacances n’est pas sans conséquences : il expose à une fatigue cumulative, à des risques de désengagement et à une vulnérabilité accrue face aux RPS. Il crée aussi une forme d’injustice sociale silencieuse, où les individus les plus fragiles se trouvent exclus d’un levier essentiel de prévention.
C’est pour ces raisons que les périodes de retour de congés sont des temps importants en termes de prévention des risques. Or, la politique RH des entreprises aborde encore trop peu cette période de l’année, en se limitant souvent à une approche administrative des congés, au détriment de leur portée sociale et préventive. Pourtant, la manière dont s’organise le retour au travail conditionne en grande partie la durabilité des effets positifs des vacances. La reprise devient ainsi un moment stratégique, qui mérite d’être pensé comme un levier à part entière de santé au travail.
II. Préparer la reprise : une étape cruciale pour éviter les rechutes
Si les vacances peuvent agir comme un sas de récupération, la manière dont s’effectue la reprise conditionne la durabilité de leurs effets. Une reprise trop rapide, mal organisée, peut induire un « effet rebond » particulièrement nocif.
On parle parfois du « syndrome post-vacances », désignant l’état de désorientation, d’irritabilité et de démotivation qui accompagne le retour à la vie professionnelle. Ce phénomène, étudié notamment par Blank et al. (2010), est souvent la conséquence de trois facteurs combinés :
- Une charge de travail immédiate à la reprise (mails en attente, urgences non traitées, retards accumulés).
- Une reconnexion brutale aux routines professionnelles, sans temps de transition.
- Une culpabilité sociale liée au fait d’avoir pris des congés, dans des contextes de surcharge ou de tensions collectives.
Ces conditions peuvent aggraver une fatigue chronique latente, précipiter des formes de burnout ou de bore-out, ou encore provoquer un désengagement progressif. Dans un rapport de l’ANACT (2023), la reprise est identifiée comme un moment à « fort enjeu psychologique », trop souvent négligé dans les politiques managériales.
Ainsi plutôt que de considérer la rentrée comme une simple remise en route, les entreprises ont tout intérêt à en faire un temps stratégique de régulation collective. Ce moment est propice à :
- Réaffirmer le sens du travail et les objectifs de la rentrée dans un climat apaisé.
- Prendre le temps d’écouter les équipes, détecter les signaux faibles, créer un espace de parole.
- Remobiliser les dynamiques d’équipe et recréer du lien, souvent distendu par les absences estivales.
Des dispositifs comme les « entretiens de reprise », les temps d’échange informels ou les moments collectifs de retrouvailles (petits-déjeuners d’équipe, ateliers de projection) permettent de renforcer l’engagement tout en valorisant l’expérience de chacun.
III. Prolonger les bienfaits : bonnes pratiques pour une reprise saine et durable
En amont, il faut d’abord organiser une réelle coupure car la qualité de la reprise dépend d’abord de la qualité de cette coupure. Plusieurs bonnes pratiques permettent de sécuriser la déconnexion des salariés :
- Anticiper les absences : transmettre les dossiers, identifier des relais, informer les partenaires internes.
- Responsabiliser les managers sur l’importance de ne pas solliciter les salariés pendant leurs congés.
- Adopter des chartes de la déconnexion, comme l’ont fait plusieurs grandes entreprises (Orange, EDF…), qui limitent les mails en dehors des horaires de travail ou mettent en place des réponses automatiques dissuasives.
Une étude de Derks et Bakker (2014) montre que l’usage professionnel des smartphones pendant les congés nuit significativement à la récupération psychologique.
Puis il faut organiser le retour des congés en privilégiant un « atterrissage progressif ». Toutes les entreprises ne peuvent pas systématiquement organiser de la même façon une reprise aménagée, notamment lorsque les congés sont pris de façon échelonnée ou que l’ensemble des équipes revient simultanément. Il est donc essentiel de reconnaître que la « reprise douce » ne peut être pensée comme un modèle unique, mais plutôt comme une démarche adaptable, selon les contextes, les métiers et les organisations.
Lorsque cela est possible, plusieurs leviers simples peuvent néanmoins favoriser un retour plus serein :
- Accorder une journée sans réunion au retour pour permettre à chacun de traiter les mails, de se réorganiser, et de réajuster ses priorités.
- Créer des temps d’échange informels entre collègues pour partager les actualités, recréer du lien et réactiver les dynamiques collectives.
- Adapter temporairement la charge de travail, en évitant les objectifs ou les délais trop contraints dans les premiers jours.
Certaines organisations développent également des initiatives inspirantes pour favoriser une reprise progressive et bienveillante. Il peut s’agir de moments collectifs dédiés à la cohésion d’équipe, de relances par l’activité physique ou de dispositifs incitant à retrouver un rythme plus apaisé. Ces pratiques, même ponctuelles, contribuent à inscrire le retour de congés dans une dynamique de bien-être durable, en cohérence avec les principes de la qualité de vie au travail.
Mais au-delà de la gestion immédiate et saisonnière, l’enjeu reste d’intégrer de manière globale tel un processus, l’accès effectif aux vacances et à la déconnexion dans la stratégie RSE/QVT. Pour cela, plusieurs types d’actions peuvent être mises en place.
- Suivre des indicateurs de non-recours aux congés, identifier les causes et les corriger.
- Former les managers à détecter les signaux d’épuisement, à encourager les temps de repos, à respecter les temps personnels et aménager ou penser les temps de retour de congés.
- Faciliter le départ en vacances pour tous les salariés en lien avec les CSE ou les acteurs de l’économie sociale (VACAF, ANCV, Fondations…)
Car, considérer les congés comme un levier de performance durable plutôt qu’une contrainte organisationnelle permet de changer de paradigme : il s’agit non seulement de prévenir les risques, mais de renforcer l’engagement, la créativité, l’envie de travailler ensemble.
Conclusion : Le retour de vacances, un levier stratégique pour repenser la performance
Le retour de vacances n’est pas un simple redémarrage de l’activité : c’est un moment charnière, où l’organisation peut capitaliser sur l’énergie retrouvée, l’apaisement mental et la prise de recul des collaborateurs. C’est aussi un temps privilégié pour mobiliser les équipes autour d’objectifs clairs, redonner du sens à l’action collective et renforcer l’engagement.
Loin d’être une contrainte organisationnelle, une reprise bien pensée devient un accélérateur de performance durable. Elle permet de fixer un cap, de clarifier les priorités, et d’associer les collaborateurs à une dynamique qui intègre à la fois les exigences opérationnelles et les besoins humains fondamentaux, notamment celui du repos, du lien social, et de l’équilibre de vie.
Mais elle peut aussi être plus qu’une relance : une opportunité de transformation. La coupure estivale invite à interroger les rythmes professionnels, à remettre en question certaines routines inefficaces ou épuisantes, et à penser le travail à l’aune du temps social. Ce temps vécu en dehors de l’entreprise — familial, personnel, collectif — n’est pas un frein à la productivité : il en est le socle invisible, sans lequel aucune organisation ne peut tenir sur la durée.
En intégrant ces dimensions à sa politique RH et QVT, l’entreprise ne fait pas seulement preuve de bienveillance : elle fait preuve de lucidité stratégique. Parce que le bien-être post-congés est aussi un marqueur de maturité managériale, et que la manière dont on revient dit souvent tout, de la manière dont on travaille.