Introduction
Le mois d’octobre est devenu, en France, un moment symbolique du prendre soin : le 6 octobre, la Journée nationale des aidants rend hommage à celles et ceux qui accompagnent au quotidien un proche fragilisé ; tout le mois, l’initiative Octobre Rose mobilise la société autour de la lutte contre le cancer du sein. Ces deux mobilisations mettent en lumière une même réalité : face à la maladie, au vieillissement, le handicap ou à la perte d’autonomie, le soin ne se limite pas aux soins médicaux. Il engage des dimensions sociales, émotionnelles, relationnelles — et, de plus en plus, professionnelles.
Dans les entreprises, de nombreux salariés vivent une “double journée” : celle du travail rémunéré et celle du soutien invisible apporté à un proche dépendant. D’autres, après une maladie ou un traitement lourd, doivent retrouver une place dans le collectif de travail et dans la vie sociale. Pour tous, la question du répit devient centrale : comment préserver la santé, la motivation et le lien à soi dans des existences saturées par la charge du soin ?
1. Le besoin vital de répit : une question de santé et de dignité
On estime aujourd’hui à 11 millions le nombre d’aidants en France (source : Fondation France Répit, 2024). Près d’un sur deux exerce une activité professionnelle. Les études convergent : fatigue chronique, troubles du sommeil, isolement, dépression touchent une large part d’entre eux. Ce constat rejoint celui des personnes atteintes de maladies chroniques ou en rémission, pour lesquelles l’épuisement physique s’accompagne souvent d’un sentiment d’usure psychologique.
Dans ces contextes, les vacances et le repos ne sont pas un luxe : ils constituent une dimension de la santé. Le répit permet de restaurer l’équilibre corps-esprit, de rompre l’isolement et de redonner sens à la vie sociale. Les recherches en psychologie du travail et en santé publique montrent que les temps de pause prolongés favorisent la régulation du stress, la diminution des marqueurs inflammatoires, l’amélioration du sommeil et la prévention du burn-out (Kühnel et al., Journal of Occupational Health Psychology, 2022).
Mais au-delà des effets physiologiques, le répit a une portée symbolique : il reconnaît le droit de chacun, y compris de ceux qui donnent, à ne pas se définir uniquement par la charge du soin. En cela, il est à la fois un enjeu de dignité et un levier d’émancipation.
Les témoignages recueillis auprès du Collectif Handicap ! lors d’une rencontre menée en juin 2025 confirment la nécessité vitale de ce répit. Une mère célibataire, élevant seule un enfant porteur de handicap, évoque la double charge :
« Les vacances, c’est du ressourcement… mais seulement si mes parents sont là. Sinon, c’est impossible : il faut tout organiser, penser à tout, et rien n’est adapté. »
L’organisation d’un départ devient souvent une source d’angoisse plutôt qu’un soulagement :
« Pour un simple week-end à Paris, j’ai commencé à préparer quinze jours avant ! Nous sommes huit, avec deux nuits sur place : il faut tout prévoir. »
Le coût, la logistique et le manque de soutien aggravent la fatigue mentale ; et lorsque le monde du travail ne reconnaît pas ces réalités, la charge s’alourdit encore :
« Quand j’ai informé mon employeur que j’étais maman solo d’un enfant avec des besoins spécifiques, cela a été le début de la fin. Pour eux, c’était un problème à résoudre, pas une situation à comprendre. »
Ces paroles traduisent la tension entre le droit à la santé et la réalité de l’épuisement quotidien. Elles rappellent que le répit doit être envisagé comme une politique de santé publique et de justice sociale : permettre aux aidants de souffler, c’est leur rendre leur pleine capacité d’agir et de travailler.
2. Vacances inclusives ( et non vacances « adaptées » ! ) : des initiatives qui changent la donne
Conscients de cette urgence, plusieurs dispositifs ont vu le jour pour favoriser le répit et l’accès aux vacances des aidants et des personnes fragilisées. L’ANCV, en partenariat avec la CNSA, soutient depuis plusieurs années le programme “Vacances Répit Familles”, permettant à des binômes aidant-aidé de partir ensemble dans des structures adaptées, alliant détente et accompagnement médical léger. Des associations comme Vacances Ouvertes, France Répit ou La Ligue contre le cancer développent également des séjours spécifiques, souvent à coût modéré, pour les personnes en convalescence ou les familles touchées par la maladie.
Ces initiatives témoignent d’une reconnaissance progressive du droit au répit comme composante du droit aux vacances. Elles traduisent aussi une vision renouvelée du tourisme social : un tourisme inclusif, solidaire et réparateur, au service du bien-être global.
Les réponses recueillies auprès du Collectif Handicap ! illustrent cependant la persistance de nombreux freins :
- L’inadéquation des lieux : « Peu de structures sont réellement adaptées aux besoins spécifiques de nos enfants », note une participante ;
- La contrainte financière, omniprésente : les locations accessibles coûtent plus cher, et les aides sont souvent insuffisantes ou méconnues La charge mentale d’organisation, qui transforme l’anticipation du départ en obstacle majeur ;
- Le besoin d’initiatives innovantes : échanges de maisons entre familles concernées, mutualisation de matériel adapté (vélos cargos, aides techniques), services de médiation pour simplifier les démarches ;
- Enfin, le souhait d’un accompagnement humain avant, pendant et après le séjour — une sorte de “tiers facilitateur” capable de relier les familles, le médico-social et les partenaires touristiques
Ces propositions confirment que le droit aux vacances, pour les familles concernées par le handicap, n’est pas une question de volonté mais d’écosystème. Il suppose la coordination d’acteurs publics, associatifs et privés, et une reconnaissance de la part des employeurs de la dimension sociale et préventive du répit.
3. Les entreprises ont aussi un rôle à jouer
Dans ce contexte, l’entreprise apparaît comme un acteur clé de la politique de répit. Non seulement parce qu’elle emploie une part importante d’aidants, mais aussi parce qu’elle structure le rapport au temps, à la santé et à la reconnaissance. Selon le baromètre Malakoff Humanis (2023), 22 % des salariés se déclarent aidants, et 59 % d’entre eux estiment que leur employeur ignore leur situation. Ce silence organisationnel engendre un double coût : humain (épuisement, absentéisme, perte de sens) et économique (désengagement, turn-over, arrêts longs).
Les politiques de QVCT et de RSE offrent aujourd’hui des leviers concrets pour agir. L’enjeu est de passer d’une logique de compassion à une véritable culture organisationnelle du soin et du répit. Cela suppose :
- Identifier et accompagner les salariés aidants, grâce à des enquêtes internes, des cellules d’écoute ou des dispositifs de congés spécifiques ;
- Favoriser la déconnexion, en garantissant que le repos ne soit pas une variable d’ajustement mais une composante de la santé ;
- Soutenir des initiatives de répit via des partenariats associatifs ou mutualistes, pour co-financer des séjours solidaires ou des actions de sensibilisation.
Parmi ces leviers, le don de jours de congés entre collègues illustre particulièrement la capacité des organisations à inventer des formes concrètes de solidarité. Institué par la loi Mathys (2014) et élargi en 2018 aux aidants familiaux, ce mécanisme permet à un salarié de céder anonymement une partie de ses congés à un collègue confronté à la maladie grave d’un proche, sans perte de salaire.
S’il repose sur une intention généreuse, ce dispositif reste aujourd’hui centré sur la gestion de l’urgence. Dans une approche de santé durable, il pourrait être élargi afin que les jours donnés servent aussi à financer de véritables temps de repos ou de vacances pour les aidants. Ce serait une manière de reconnaître que prendre soin de soi fait partie intégrante de l’acte de soin. En intégrant cette dimension dans les accords QVCT ou les chartes RSE, les entreprises donneraient un sens nouveau à la solidarité : non plus seulement faire face à la maladie, mais préserver durablement la vitalité du collectif de travail.
Ainsi comprise, la solidarité au travail devient un principe d’organisation du temps. L’entreprise ne se contente plus d’atténuer les effets de la charge : elle contribue à construire les conditions du répit, renforçant à la fois le bien-être individuel et la cohésion collective.
Conclusion : Faire du repos un droit partagé
Reconnaître le droit au repos comme une question de santé, c’est dépasser l’idée que les vacances relèvent du privilège individuel. C’est comprendre qu’elles constituent un facteur de résilience collective, de santé publique et de cohésion sociale. Ce droit au répit, lorsqu’il inclut les aidants, les malades et les travailleurs fragilisés, renforce le tissu humain des organisations autant qu’il prévient les coûts de l’inaction : épuisement, désengagement, désocialisation.
La culture du soin et celle de la performance ne sont pas opposées : elles se complètent. Prendre soin, c’est aussi créer les conditions d’un engagement soutenable — pour soi, pour l’autre et pour la société.
C’est dans cette perspective que s’inscrit Objectif Vacances, en accompagnant les organisations vers une reconnaissance concrète du droit aux vacances pour tous. Parce que promouvoir le répit, c’est non seulement agir pour la santé des individus, mais aussi bâtir une performance durable fondée sur l’équité et le soin partagé.